Grand Raid 2011 à La Réunion
Les
photos de la diagonale des fous en diaporama ici
La Diagonale de 5 Fous parmi les 2500 inscrits...pour parcourir 162 kilomètres et 9600 mètres de dénivelé positif.
Ces 5 coureurs sont : Emmanuelle (Manue) et Gérald Rochet-Blanc, Dominique Hocbon, Christian Lemonier et Jean-Luc Boiteux, le narrateur de cette épreuve.
Départ le lundi 11 octobre, à 19h30, d’Orly où l’on retrouve le 5ème larron : Dominique.
Arrivée à Saint Denis le mardi 12 au matin après 11h de vol, il fait beau et chaud. Après avoir récupéré la voiture de location, nous prenons la route du nord pour rejoindre le fond du cirque de Salazie et plus précisément Hell Bourg, superbe petit village au cœur du cirque. Nous commençons à nous imprégner des difficultés qui vont émailler notre raid.
En milieu d’après midi, nous reprenons la route pour Basse Vallée, vers Saint Philippe, où se situent nos chambres d’hôte. En chemin, nous traversons les coulées de lave, descendues du volcan situé 2500 mètres plus haut ! La route épouse les coulées plus ou moins récentes. Nous passons devant l’église épargnée par une coulée ; la lave l’a contournée sans l’envahir.
Vers 18h, nous arrivons à Coco Vanille, où Thérèse et Marc, les propriétaires, nous attendent. Nous nous installons et allons diner au « Réveil du village » d’un plat de pates.
La nuit est agitée ; il tombe des cordes, on a l’impression que le ciel se purge. Pour accompagner le bruit de la pluie, les coqs de combat du voisinage, ainsi que les chiens s’en donnent à cœur joie. Il faudra nous y habituer, car ce sera ainsi toutes les nuits passées à Basse Vallée pour volaille et cabots et presque toutes les nuits pour la pluie !
Au matin du mercredi, nous partons pour Saint Denis et le stade de La Redoute où nous retirerons les dossards à partir de 14 heures. En chemin, nous faisons une halte à Saint Pierre pour acheter des capes car le temps du Sud Est ne nous inspire pas. Il pourrait bien pleuvoir au départ ; et tout serait trempé si nous ne protégions pas nos sacs. Qui plus est, nos légers vêtements de pluie seraient vite traversés.
Arrivés vers 14h à La Redoute, nous faisons la queue pour récupérer les dossards, sur présentation d’un document reçu par mail et d’une pièce d’identité.
Il est convenu que vers 16h30, nous retrouverons Michel, un ami « oreille » (métropolitain vivant sur l’ile !) qui vit à La Réunion depuis très longtemps. Il nous présentera à plusieurs de ses connaissances habituées du Grand raid. Ces derniers nous donneront des conseils bien utiles pour la suite de ce qui nous attend.
A Saint Denis, au Nord Ouest de l’île, il fait habituellement beau ; il y pleut beaucoup moins qu’au Sud Est. Cependant, alors que Dominique faisait la queue pour faire le tour des stands des sponsors et recevoir des objets publicitaires en cadeau, un violent orage éclata, obligeant les coureurs et bénévoles présents à s’abriter rapidement.
Cette pluie nous accompagna jusqu’à notre refuge de Coco Vanille où Thérèse nous avait préparé un carry de porc délicieux et très apprécié, surtout par Dominique…(le carry est une spécialité créole à base de curry).
La nuit fut bien venue et réparatrice, nous permettant de recaler nos horloges biologiques du décalage horaire (2 heures).
Au matin, nous révisons une dernière fois chacun, notre sac de course, ainsi que les sacs « intermédiaires » (1 pour Cilaos avec 1 seul bâton non pointu pour la 2èmepartie de course, 1 pour 2 Bras, et 1 pour l’arrivée). Puis nous retournons vers Saint Pierre pour les tout derniers achats avant le départ ; entre autres emplettes une paire de running pour Christian, parti avec une seule paire déjà bien usagée !
L’après midi ; ce sera sieste pour tout le monde, et vers 20 heures, le repas de pates préparé pour nous au « Réveil du Village ».
La pression monte… après ce copieux repas, nous retournons à notre refuge pour les derniers préparatifs : se protéger les mamelons et les clavicules saillantes sur lesquelles reposeront les bretelles du sac de course, lubrifier les zones de frottement.
21 heures, il est temps d’y aller. Nous nous insérons dans un flot de raideurs qui gagnent la zone de départ. Il nous faut nous frayer un chemin jusqu’à un sas de contrôle du matériel obligatoire (couverture de survie, sifflet, réserve alimentaire, minimum de 1,5litre d’eau, lampe frontale et piles de rechange, 2 bandes adhésives, un vêtement de pluie).
Il faut avoir vécu ces moments de stress mêlés de sérénité pour comprendre ce que l’on ressent. On est prêt, du moins on le croit parce qu’on s’est entraîné avec sérieux, mais on appréhende. On a visionné des vidéos des éditions précédentes, mais là, c’est notre histoire que nous allons vivre.
Alors, on essaie de se concentrer, de faire le vide, de s’isoler malgré les 2500 coureurs qui nous entourent et qui essaient, eux aussi de maitriser leurs émotions.
Les organisateurs ont prévu diverses animations pour faire passer le temps avant le traditionnel briefing. Lors de ce briefing, il nous est, entre autres, dit que nous serions informés en temps et en heure en cas de modification du parcours du coté de Belouve…On verra plus tard que la forêt de Belouve nous réservera un accueil très particulier.
22 heures, il ne pleut plus depuis le matin, il fait 20°. Les fauves sont lâchés. Nous ne voulons pas partir trop vite, aussi, laissons nous aller ceux qui ne craignent pas se griller en allant trop vite sur les premiers kilomètres ; la route sera longue !
Sur 2,9 km, nous courons sur la route, nous suivons le flot et nous nous échauffons doucement. Une piste bétonnée avec une pente relativement régulière fera suite.
Au km 15,9 est situé le premier contrôle officiel.
Avec Dominique, je suis 1767ème . Nous sommes partis relativement doucement.
Deux stratégies étaient possibles :
- soit partir très vite pour éviter les bouchons qui ne manqueraient pas de se constituer au départ du sentier monotrace qui mène au volcan, 2500m plus haut au risque de se griller
- soit partir prudemment et être frais pour affronter des pentes de l’ordre de 27% dans le monotrace, au risque de faire la queue
Au volcan, nous sommes ensemble, Dominique et moi, en 1418ème position. Il y fait très froid (4°), Dominique qui souffre d’un syndrome de Raynaud est frigorifié, il tremble de tous ses membres. Contrairement à moi, il ne s’est pas couvert dans la montée. Je l’aide à passer un vêtement plus chaud et à mettre des gants.
Je me sens bien, je sens que le jour ne va pas tarder à pointer pour nous réchauffer. La piste de la Plaine des sables que nous traversons est très agréable, nous courons sur du sable dur, qui ne fuit pas sous nos baskets. Pour quitter cette plaine, il faut gravir une falaise très abrupte par un chemin en lacet.
Au poste suivant, je devance Dominique de plusieurs minutes ; je pense qu’il paie en partie son refroidissement. Au contrôle suivant, il me demandera de ne plus l’attendre et de faire ma course. Je suis 1385ème au km40.
Je repars donc avant Dominique ; en sachant que Manue, Gérald et Christian, partis plus prudemment que nous, seront en mesure de le récupérer dans la descente de Mare à Boue la bien nommée.
En ce qui me concerne, la descente prudente se passe sans encombre. Il faut cependant être très attentif ; ça glisse un peu et surtout le sentier, bien que GR est bordé de clôtures en fil de fer barbelé. Quelques coureurs qui ont dérapé s’y sont raccrochés ; ils se souviendront de ce passage…
Après le contrôle de Mare à Boue, Sophie Bonnot (fidèle amie de course depuis la Totem Pole Race) m’envoie un SMS m’informant que Dominique à été récupéré par mes 4 copains et que j’ai 40 minutes d’avance sur eux. Cette descente était sensée être un passage très difficile à négocier car très glissant.
En fait, ce qui nous attendait allait être terrible pour près de 600 concurrents, obligés d’abandonner à Hell Bourg ; soit sur blessure, soit par épuisement, soit pour dépassement de la barrière horaire.
En effet, nous allions, après quelques kilomètres, entrer dans la forêt de Belouve sur un tronçon défoncé par les coureurs qui nous ont précédés après les pluies diluviennes des derniers jours. Au fur et à mesure des passages, on enfonce un peu plus dans la boue. Ainsi, je mettrai 5h30 pour faire 21 kilomètres entre Mare à Boue et le ravitaillement de Hell Bourg, alors que mes 4 compères mettront 7h30 pour le même tronçon.
La descente sur Hell Bourg a été très pénible pour moi. Le sentier est en bon état, mais mes appuis ne sont plus très sûrs (d’une façon générale, j’appréhende les descentes) après avoir pataugé plusieurs heures dans la gadoue. J’ai mal aux pieds. Je repère une chaise libre dans la tente infirmerie ; je m’assois. Une infirmière me demande de quoi je souffre et me dit que si je ne suis pas blessé, je dois laisser le siège. Une autre nurse a entendu la réflexion de sa collègue et se rapproche de moi. C’est alors que nous nous reconnaissons. J’ai été médecin de la Transaq en 2009 ; elle y était infirmière ! Dès lors, elle a été aux petits soins, m’aidant à laver mes pieds meurtris, mais sans ampoules. Je me suis massé la voute plantaire et j’ai mis des chaussettes sèches. Puis, sans perdre de temps, après m’être ravitaillé, je suis reparti, non sans avoir remercié ma « vieille connaissance » !
Entre Hell Bourg et Cilaos, il faut affronter la montée Le Cap Anglais, jusqu’à la caverne Dufour ; soit passer de 1000 mètres à 2484 mètres d’altitude en 9 kilomètres. Ca grimpe très dur dès le début du sentier monotrace. Je suis bien et je grignote 100 places sur cette portion difficile. Je croise des coureurs qui retournent à Hell Bourg, pour y abandonner.
C’est dans cette montée que Manue fera 2 grosses hypo. Accompagnée de Dominique et Christian, elle fera une longue pause au gite de la caverne Dufour pour se refaire. Hélas, ils seront hors délais lorsqu’ils repartiront pour Cilaos. Ils seront considérés comme ayant stoppé à Hell Bourg, dernier pointage officiel dans les temps. Cependant, c’est par leurs propres moyens qu’ils devront descendre sur Cilaos.
Gérald devançait le trio dans l’ascension du Cap Anglais passa de justesse le pointage du sommet avant d’être informé des mésaventures de son épouse. Se sachant désormais isolé, il me contacte pour me demander de l’attendre, alors que je m’apprêtais à repartir de Cilaos.
Il est vrai qu’à deux, il sera plus aisé d’affronter la deuxième partie du raid et en particulier Mafate, cirque étroit et fermé de 30 kilomètres de long, sans route ni piste pour 4x4, où vivent dans des « îlets » des populations éparses qui ne peuvent être ravitaillées ou secourues que par hélicoptère...
Entré à 21 heures en 903ème position à Cilaos, Gérald n’étant pas joignable, j’en repars à 1 heure du matin avec mon bâton de course à la 1044ème place. Christian m’appelle vers 1h45 pour me dire que Gérald vient de quitter Cilaos. Je m’arrête donc dans la montée du col du Taïbit pour l’attendre. Quand mon copain arrive, il est assez éprouvé car il a très peu récupéré. Je prends la tête et règle l’allure pour que Gérald puisse se refaire.
On peut se permettre de lever le pied car les barrières horaires sont larges dans cette 2ème partie de course. Le col est à 2080 mètres d’altitude. Nous y arrivons à la pointe du jour, à une heure où les oiseaux donnent un concert ; ça piaille de partout ; c’est un enchantement. Mais pas le temps de rêvasser, on attaque la descente.
A 6h45, on arrive à Marla à 1580 mètres d’altitude. Nous sommes 974 et 975ème . On se restaure rapidement et on repart.
Direction Trois Roches, lieu magique au milieu de nulle part. Le ravitaillement est posé sur un banc de roche. Un cours d’eau que nous aurons à traverser se perd dans une faille profonde et étroite.
Depuis le col, nous n’avons fait que descendre. Il fait de plus en plus chaud dans ce chaudron. Il faut penser et faire penser à s’hydrater.
En revanche, la portion de 3 Roches à Roche Plate est très accidentée, ça monte et ça descend sans cesse ; c’est un sérieux casse patte. D’autant que nous sommes en course depuis 36h50 quand on arrive, sans avoir dormi. Il est 10 heures. Le ravitaillement est installé dans la cour de l’école de Roche Plate. Les bénévoles, comme sur tous les autres postes, ne ménagent pas les encouragements ! Comment ne pas se surpasser dans ces conditions.
On stoppe un moment pour se reposer, on se déchausse pour faire respirer nos pieds et les masser. Gérald constate la présence de quelques ampoules.
Mais on ne peut s’éterniser.
Ilet des Orangers sera le prochain poste de contrôle. On ne fera qu’y pointer et remplir nos réserves d’eau.
Après le captage, nous longeons la conduite des Orangers puis nous cheminons le long de la Rivière des Galets jusqu’à Deux Bras.
On est encore à plus de 36 kilomètres de l’arrivée. Les premiers coureurs du Trail de Bourbon nous rattrapent et nous doublent comme des avions. Entre ce point et le final, nous serons désormais accompagnés par ces traileurs plus frais que nous.
Nous sommes secs ; il fait très très chaud et l’on n’a pas assez bu.
C’est alors que François, un copain de Belfort qui a fait la Diagonale en 2009, me téléphone. Dans la conversation, je lui confie que l’on n’avance plus, mais que nous allons essayer de passer Dos d’Ane (800 mètres de D+ pour 4 kilomètres) avant de nous reposer. François nous dissuade de repartir de Deux Bras sans y avoir dormi. Nous suivrons son avis et nous y arrêterons.
A l’entrée du contrôle, nous sommes 964 et 967ème .
On récupère nos sacs de réapprovisionnement. Par chance, 2 postes de massage sont disponibles. Les kiné font des miracles sur nos cuisses et nos mollets durcis par les 40h46 de raid et par la petite déshydratation que nous venons d’éprouver.
Bien détendus par ces soins, nous avisons 2 lits picots disponibles sous la tente dédiée au couchage. On s’allonge, non sans avoir demandé à un bénévole de nous réveiller dans 1 heure. Pas sitôt étendu, Gérald sombre dans un profond sommeil. Je serai un peu plus long à m’endormir. Comme convenu, le bénévole nous fait savoir qu’il est l’heure.
Avant d’aller manger, je vide les ampoules de Gérald et y injecte un peu d’éosine.
Le repas est composé de riz accompagné de lentilles et d’un morceau de poulet grillé. C’est bon, j’en prends 2 fois.
Mais il faut repartir. Nous craignions d’être « contracturés » après ce court sommeil. En fait, nous sommes surpris de constater que nos jambes sont revenues. Et c’est tant mieux car la montée de Dos d’Ane arrive et sera fidèle aux prévisions de François. C’est très pentu, avec des passages vertigineux, une échelle métallique sur quelques mètres, des câbles en guise de main courante ; bref, il fallait être lucide.
Nous atteindrons le sommet à la tombée de la nuit. Une clameur se fait entendre de loin. Au débouché du sentier, c’est une fête endiablée qui nous attend, avec musique et danseurs de maloya.
Nous empruntons sur quelques centaines de mètres, une piste bétonnée qui descend raide, puis bifurquons sur la droite pour nous engager dans un sentier à la verticale. On s’accroche aux branches et aux arbustes pour ne pas être emportés par notre propre poids. Puis ce sera une route bitumée jusqu’au stade de La Possession. Nous sommes en course depuis 48 heures, nous avons attaqué notre 3ème nuit dehors, nous sommes 963 et 964ème.
Courte halte pour pointer et refaire le plein.
Sur Internet circulent des vidéos qui montrent la suite de notre périple : le fameux Chemin des Anglais (encore eux), consiste en 2,5 kilomètres de pavés disjoints qui mènent au sommet d’une colline, puis 2,5 kilomètres des mêmes pavés qui en redescendent pour gagner Grande Chaloupe où nous sommes 902 et 903ème. Gérald qui s’est refait la cerise me dit alors : « il faut absolument rentrer dans les 800 ! »
C’est donc à un train d’enfer que l’on attaque la toute dernière ascension vers Colorado ; colline qui domine le stade de La Redoute, arrivée de la Diagonale.
En 10 kilomètres de montée, nous reprendrons 54 places, négligeant cependant de nous alimenter correctement.
Je ne peux rien avaler à Colorado. J’ai mal au ventre et la descente réputée difficile sur l’arrivée contribue à me stresser. Mais il ne reste que 5 kilomètres. Ca va le faire et rien ne pourra nous priver de la jouissance du final.
A La possession, après de nombreux contacts par SMS avec nos 3 amis malheureux d’avoir été disqualifiés, nous les appelons pour prendre de leurs nouvelles et les informer de notre progression et de l’heure supposée de notre arrivée au but.
Manue, Dominique et Christian, sitôt informés prendront la route de Saint Denis.
Au débouché du sentier descendant de Colorado, Manue nous a rejoint, s’est saisie de nos bâtons de course pour nous débarrasser. Il reste un petit kilomètre, nous courons tous les trois comme si nous finissions un 10 kilomètres.
Puis c’est l’entrée dans le stade, nous dépassons encore 2 coureurs sur la piste et terminons en 54h39 et en 825 et 826ème position cette mythique épreuve. Nous recevons notre médaille et notre tee-shirt de finisher (en coton), sur lequel sont brodés les mots « j’ai survécu ».
Avec Manue, Dominique et Christian sont là également. Notre joie est mitigée compte tenu de la mésaventure de nos potes.
Je ne veux pas clore ce récit sans remercier les nombreux soutiens reçus par appel téléphonique ou SMS : ma femme Catherine, mes enfants Laure et Quentin, Nicolas et Magda, Sébastien et Elan, Sophie Bonnot, François Blanchard, Pascal Vuillemin, Benoît Audy, Valéry Pineau, Luc Valzer, Philippe Paillard, Jean-Louis Neiss, Michel Riou, Dominique et José Delgado, Quinquin …
Et tous ceux qui ont suivi notre progression sur le site de la course… http://www.grandraid-reunion.com/
Après un récit de course, j’aime à placer la lettre de Philippe Billard :
Mon royaume pour une lettre.
On se dit tous forcément un jour que l’ultra est un sport ingrat, qu’on est un incompris. On se demande pourquoi les collègues de bureau nous traitent de fada et pourquoi nos familles sont inquiètes. Si nous en retirons une certaine solitude, elle est aussi, parfois, teintée de fierté. Je ne parle pas ici de cette fierté ahurie d’arriver à bout d’épreuves apparemment difficiles. Je parle de cette fierté de le faire en restant toujours lucide et toujours attentif au monde qui nous entoure.
Car courir un ultra, n’est pas juste un moment privilégié d’introspection. Courir un ultra, c’est aussi une aventure qui nous guette, des sourires qui s’esquissent, des rencontres qui nous marquent et même parfois, des rencontres qui changent notre vie. Et voilà que l’ultra nous offre son plus beau paradoxe. Il passe du statut de sport solitaire, aride, ascétique, mal compris, à celui de pratique solidaire, ouverte à l’autre et qui sait faire fi de soi pour l’intégrer dans sa sphère personnelle.
C’est là que toute la magie des kilomètres opère, comme si le bien être des premières foulées rendait égoïste, jaloux de son plaisir.
Puis peu à peu, on devient faible, on se replie, on souhaite que plus personne ne nous adresse la parole pour pouvoir souffrire en silence. Trente-cinq kilomètres. Quarante kilomètres. Cinquante kilomètres. Trois heures de course. Quatre heures de course. Huit heures de course. Peu à peu, on se prend à regarder autour de soi, à espérer un petit encouragement, un petit applaudissement.
Il n’y a plus d’adversaire, on vit la même expérience intense que ses compagnons de route. Peu à peu, on devient aimable en ressentant cette bouffée d’énergie à chaque encouragement d’un frère ou d’une sœur d’armes. Les liens se resserrent et ces coureurs avec qui l’on fait le yo-yo depuis des heures deviennent des amis.
Conscients de ce qu’ils nous apportent à ce moment là, il devient bientôt impossible de les abandonner là, alors qu’ils affrontent un terrible coup de barre. Le solitairedevient solidaireet c’est juste une seule petite lettre qui change, comme un équilibre instable qui nous aide à affronter l’adversité ou au contraire, à apprécier le moment présent.
Le plaisir de changer à satiété le « d » en « t », puis le « t » en « d » à nouveau, je l’échange contre mon royaume en friche de bonheurs inutiles.
Philippe Billard, rédacteur UFO.
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